Bien qu’il ne soit pas question d’une quelconque attribution de la paternité du concept « d’architectures palimpsestes », il faut bien avouer que les mentions de ce dernier dans des ouvrages, des revues ou des sites internet ne sont pas légions. A vrai dire, aucune évocation de cette expression n’a été trouvée, et ce, tant dans la littérature anglo-saxone, que française. Peut-être existe-t-elle au détour d’un écrit japonais ou indien ? Difficile à dire à ce jour. Néanmoins, après quelques recherches, une expression s’en rapprochant relativement a fleuri au sein d’un article de revue spécialisée. En effet, il est fait mention de « palimpseste architectural » à l’initiative de Katerie Gautel Chamberland et Aude Gendreau-Turmel en 2009. Ces dernières dépeignent dans le cadre de cette publication les contours d’une démarche conceptuelle propre à certains architectes dont l’ambition est de se servir des legs d’un contexte donné pour les transformer en matière première d’un projet à venir. En effet, elles rappellent que lorsque « vient le temps d’établir la relation du bâti contemporain avec le passé, plusieurs architectes empruntent la voie du palimpseste. Le mot fait référence à ces manuscrits médiévaux dont on effaçait le texte d’origine pour en inscrire un nouveau, par souci d’économie de parchemin. Souvent, au coeur du second texte surgissaient des bribes du premier. Par analogie, le lieu devient un manuscrit sur lequel sont laissées des traces, matérielles ou mémorielles, d’occupations anciennes. »(1).
Cet extrait aide effectivement à y voir plus clair quant aux caractéristiques permettant de circonscrire les contours d’une définition du concept. Il n’est pas inutile de rappeler que l’expression « architecture palimpseste » bien qu’elle ait émergé suite à la réalisation de plusieurs travaux au sein de l’agence Guillaume Appriou Architecte, n’a pour autant jamais été prononcée par ce dernier et n’a pas été revendiquée comme une démarche portée par l’agence. Pour autant, nombres d’indices tendent à étayer la thèse d’une production d’architectures palimpsestes dans certains contextes donnés et à de multiples échelles, depuis la maison de particuliers à celle d’équipements publics, en passant par des bâtiments culturels. Ce constat laisse entrevoir la possibilité que la production de ce type de constructions n’est pas nécessairement le fait d’une pratique consciente mais peut-être également le fruit d’une nécessité inconsciente, difficilement palpable.
Quelles soient le fruit ou non d’une démarche consciente d’un maître d’ouvrage et d’un maître d’oeuvre, ces architectures ont ceci de particulier qu’elles s’appuient sur certains aspects matériels et immatériels d’un lieu. Celui-ci peut être bâti, ou non, selon que des démolitions aient été jugées nécessaires par les partis impulsant le projet. Ce « déjà-là » n’est pas vécu comme une contrainte ou un support inerte sur lequel il y a pure nécessité à combler. Un dialogue d’une nature profonde s’élabore au gré des phases d’études, du chantier et de la vie du lieu, une fois que le concepteur a rendu les clefs. Sauf à ce que celui-ci fasse aussi le choix de s’y enraciner. Elles répondent à des enjeux multiples qui les distinguent des constructions neuves génériques s’implantant sur des supports ayant fait l’objet de tables rases que ce soit dans des espaces urbains, péri-urbains ou ce qu’il reste des territoires ruraux. Dans le cadre des architectures palimpsestes, l’accent est mis sur la mise en valeur d’aspects patrimoniaux, d’une économie du foncier et des matériaux de construction, d’un confort aux multiples facettes, de l’affirmation d’une pérennité mouvante et d’une évolutivité programmatique possible.
Jean-Philippe Vassal et Anne Lacaton, architectes et récents lauréats du Prix Pritzker, rappelaient dans une interview donnée à la revue du moniteur en 2008 que « pour la transformation des grands ensembles de logements, il faut encore procéder en partant de ce qui peut être conservé. Les “tours et les barres” des années 1960 ont des potentialités exploitables. Plutôt que démolir, il faut “faire avec” pour transformer, améliorer, ajouter 50 % de surface, ce qui combiné à l’existant donne un appartement une fois et demie plus grand que celui qu’on aurait obtenu en démolissant et en reconstruisant à neuf. C’est un travail d’économie et de précision. Tout l’enjeu est de trouver, grâce aux systèmes constructifs actuels, des solutions qui s’emparent de l’existant pour le métamorphoser » (2).
Eu égard au nombre d’indices collectés, il apparaît désormais opportun de se risquer à une définition concise de cette typologie et donc facilement appropriable par tout un chacun :
Les architectures palimpsestes sont des bâtiments neufs ou réhabilités, espaces extérieurs compris, illustrant un processus de transformations matérielles et immatérielles plus ou moins ample en fonction d’un contexte existant donné.
Bien que les intérêts d’une définition synthétique soient multiples, il n’est pas inopportun de préciser quelques aspects complémentaires de ce concept. En effet, ces architectures ont vocation à tisser des liens robustes entre les générations et s’imprègnent des spécificités d’un contexte spatio-temporel donné.
Elles s’opposent en cela à des logiques génériques de production des espaces et des bâtiments. Celles-ci abritent en leur sein les leviers qui contribuent à transformer des espaces en lieux et ce à plusieurs échelles, dans une logique de perpétuelle évolution. Par ce biais, elles visent à contrecarrer des dynamiques d’annihilation en cours sur des portions de territoires donnés et à améliorer l’ensemble des contextes dans lesquels elles prennent corps.
Une fois cela dit, il est important d’insister sur le fait que les constructions neuves selon la manière dont elles sont conçues et réalisées n’ont pas toujours vocation à produire une architecture palimpseste en tant que telle. Cette typologie ne concerne que certains bâtiments neufs, dans le cas où les architectes invoquent clairement le recours à ce procédé, peu importe le degré d’habilité avec lequel ce dernier est usité. Elles prennent également vie dans le cadre de réhabilitations et de façon plus modeste dans le cadre de certaines restaurations. Dans le cadre de conservations historiques au sens où l’entendait l’architecte britannique John Ruskin, cela paraît beaucoup plus discutable car l’enjeu de ce type d’intervention est de conserver l’écriture initiale le plus fidèlement possible vis-à-vis d’un état antérieur originel. Le palimpseste, quant à lui, tolère parfaitement l’effacement d’une partie de la production antérieure, voire de son intégralité pour n’en garder que le socle territorial.
C’est ce qui caractérise d’ailleurs également les territoires comme le rappelle André Corboz dans son article le territoire comme palimpseste. Ce dernier nous suggère que ce dernier « tout surchargé qu’il est de traces et de lectures passées en force, ressemble plutôt à un palimpseste » (3). Cependant, ces entités spatiales ont, selon lui, une résilience qui n’est pas dénuée de limites. Il souligne que « certaines régions, traitées trop brutalement et de façon impropre, présentent aussi des trous, comme un parchemin trop raturé : dans le langage du territoire, ces trous se nomment des déserts. » (4).
Ainsi, même si à terme les architectures palimpsestes ont vocation à participer au développement d’habitats symbiotiques, il reste du chemin à parcourir tant au niveau de ce type de projets qu’à l’échelle de l’aménagement du territoire.
La résilience des territoires quels qu’ils soient n’est donc pas à toute épreuve quand bien même ils seraient peuplés d’architectures toutes aussi qualitatives les unes que les autres. L’empilement de « chefs-d’oeuvre » bâtis, palimpsestes ou non, n’a pas intrinsèquement vocation à produire un développement territorial harmonieux, résilient et relient. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de mettre en relief ce concept dans le cadre d’une approche territoriale afin de comprendre les rôles qu’elles peuvent jouer et notamment dans une perspective itérative.
(1) GAUDET-CHAMBERLAND K. et GENDREAU-TURMAL A. (2009), Le palimpseste architectural : le passé en filigrane, Continuité, (123), 11-14.
(2) DEGIOANNIET Jacques-Franck et CHESSA Milenna (2008), Entretien avec Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal, architectes, « L’architecture c’est du temps, de l’espace, du mouvement... », Le moniteur -https://www.lemoniteur.fr/article/entretien-avec-anne-lacaton-et-jean-philippe-vassal-architectes-l-architecture-c-est-du-temps-de-l-espace-du-mouvement.1242084
(3) CORBOZ André (1983), Le territoire comme palimpseste, Diogène, 14-35.
(4) CORBOZ André (1983), Le territoire comme palimpseste, Diogène, 14-35.